Quelques souvenirs de rencontres avec Michael M. Molodensky |
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C’est avec beaucoup d’émotion que je me souviens des nombreuses rencontres avec M.M. Molodensky, que nous avions pris l’habitude d’appeler affectueusement, parmi quelques intimes, Misha, et qui nous a toujours fait le privilège de l’apprécier. Il aimait d’ailleurs la France et comment pouvait il en être autrement avec un être aussi délicieux ? Néanmoins, c’est sur un plan strictement scientifique que nous avons fait d’abord connaissance. Dans les années 1970, la physique solaire en URSS était activement menée par un grand astrophysicien, G. M. Nikolsky et M.M. était un de ses collaborateurs. C’était plutôt un théoricien, mais il ne manquait pas une occasion de participer nos discussions passionnées. A l’occasion d’une réunion qu’avait initiée G.M. Nikolsky, il décida de relever un défi posé par des observations d’éclipse faites en 1970 a l’aide du filtre neutre radial. Ces observations montraient une polarisation anormale pour quelques structures très particulières (discontinuités) de la couronne de plasma. Ce fît le début d’une longue collaboration que nous avons poursuivie a l’occasion de plusieurs séjours qu’il pît réaliser en France bien plus tard, grâce a des actions d’ailleurs pas toujours très orthodoxes. Ces séjours ont toujours été ponctués par des travaux très originaux qui, au total, pourraient remplir un volume entier. Il aimait pourtantt répéter, et c’est tout a son honneur, qu’il ne savait pas grand-chose, mais ce qu’il savait, il le savait bien. J’ai pu me rendre compte, tout le long de ces décennies de collaboration, qu’il savait en réalité beaucoup, mais qu’il aimait distiller son savoir sans manquer pourtant une opportunité de parfaire ses connaissances, tant sa soif de mieux savoir était grande. Il pouvait également être d’une redoutable efficacité et il est bien connu que cela n’appartient qu’aux grands. Seule la maladie a lentement réduit son ardeur. Ses recherches sur la couronne solaire, qu’il a d’abord entreprises en France en collaboration avec Jean-Claude Vial a l’Institut d’Astrophysique Spatiale, ont pu bénéficier de sa connaissance profonde des méandres de la MHD, une discipline qu’il avait assimilée a la perfection et qu’il a contribué a développer. Il l’aimait au point de la critiquer, et même sévèrement parfois, sans jamais oublier évidemment toutes les applications qui justifient son usage. Avec l’étude des structures coronales, il a trouvé un champ étendu d’études où son intuition a pu se développer pour réaliser des travaux fondamentaux sur la topologie des structures et leur équilibre. Il aimait a ce propos rappeler les résultats de V. Arnold et d’autres, sur la théorie des catastrophes, car son intuition lui donnait des raisons de croire que cette théorie pouvait y trouver des applications. Pour mieux comprendre la physique coronale, il a même réalisé, avec bonheur et doigté, des observations d’éclipses, au Brésil comme en Sibérie, avec des expériences qu’il avait lui-même conҫues. Il a d’ailleurs continué a étudier, a ces occasions, les problèmes de polarisation et je pense que ses travaux théoriques sur les effets subtils dus a la propagation de faisceaux d’électrons de hautes énergies, devront inspirer les travaux futurs pour comprendre l’origine des particules solaires énergétiques. Mais c’est sur les aspects topologiques des champs magnétiques qu’il a excellé et cela l’a amené jusqu’a développer lui-même des techniques de visualisation a 3 dimensions que nous avions bien maladroitement essayé de développer avant lui. Il a notamment étudié les singularités sur les surfaces magnétiques comme personne d’autre ne l’a jamais appréhendé et je crois qu’il a encore beaucoup d’avance dans ce domaine. Il adorait discuter de l’imagerie 3D et pratiquait évidemment la stéréoscopie sous différentes formes. En 1991, alors que nous avions réussi une observation d’éclipse depuis 2 sites très différents et a plus de 2 heures de différence dans le but d’étudier les phénomènes dynamiques de la couronne, je me souviens lui avoir proposé de mettre en évidence la structure 3D en faisant l’hypothèse de rotation rigide de la carcasse magnétique. Ceci n’avait jamais été fait auparavant et constituait donc un défi. A ma grande surprise, en moins de 24h il me proposa 2 pages de calculs d’où il ressortait des mesures convaincantes de la structure 3D de plusieurs jets coronaux et il n’en fallu pas plus pour produire un article soumis et publié sans délai dans la revue Nature. Ce fut la 1ère observation stéréo de la couronne solaire. Plus de 10 ans avant les observations stéréo produites dans l’espace a l’aide de 2 satellites héliocentriques. A l’occasion de longues discussions, nous avons aussi traité de questions plus fondamentales, comme l’origine des champs magnétiques globaux du Soleil, a la lumière des variations de la structure de la couronne en fonction de la phase du cycle d’activité. Cela nous entrainait souvent vers la discussion des phénomènes chromosphériques et photosphériques. Il avait déja grandement contribué a la physique des protubérances et même des éruptions, mais il évitait d’entrer dans la discussion de phénomènes trop complexes, tant il voulait rester sur des pistes qu’il sentait a sa portée. Les tubes de flux photosphériques le fascinaient et je crois qu’il aurait pu mieux contribuer a les modéliser si nous avions pu assurer une meilleure coordination dans notre coopération, a partir des observations a grande résolution ramenées de l’Observatoire de Sacramento Peak (Nouveau Mexique). Hélas, les échanges basés sur des relations «internationales» entre la France et l’URSS puis avec une Russie en état de décomposition puis de lente reconstruction, n’ont pas été toujours faciles entre nous. Pourtant, nous n’avons jamais divergé sur aucun sujet d’actualité. Il avait un sens humain très développé et montrait toujours une grande retenue sur les jugements qu’on trouvait dans les medias… Lors des discussions et échanges scientifiques, il n’oubliait jamais de mentionner ses collaborateurs restés a Moscou. Sa modestie naturelle l’amenait souvent a se placer en second dans une recherche qu’il avait pourtant assurée pour l’essentiel et j’ai eu a ce propos des discussions épistolaires d’où il est toujours sorti vainqueur. Son principal handicap a été sa connaissance limitée des langues étrangères, ce qui le rendait hélas trop distant vis-a-vis des collègues franҫais qui pourtant ressentaient bien en lui un personnage exceptionnel. C’était aussi un homme cultivé et il pouvait réciter a tout instant et de mémoire de longues poésies tirées du répertoire russe et même international. Son amour de l’Opéra classique le rendait certes lyrique et passionné mais sans expression excessive. C’est probablement d’avantage le pur mathématicien qui sommeillait en lui que l’on retiendra pour toujours, avec en plus une physionomie de poète qui se reconnaissait de loin. Il nous manque.
Paris, 2009-10-03 S.K. |
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